vendredi 4 février 2005

Ce froid qui tue

Elle n’a plus d’adresse. Françoise a élu domicile côté terrain vague l’an dernier.

À 39 ans, vivre est un mot inscrit au dictionnaire, sans plus. Survivre, c’est sa réalité. Preuve vivante de l’exclusion, ou quand la déstabilisation génère la déstabilisation, elle ne confronte plus, ni les idées, ni les regards, ni ses idées, ni ses regards.

Sa vie a basculé à la mort de son fils. C’était en 1995. Janvier. Accident de la route aux enfers. La mort qu’elle lui a donnée comme elle dit. C’est ce qu’elle pense, c’est ce qu’elle croit, c’est ce qu’elle vit. Pourtant, douze ans plus tôt, elle ne voulait pas de ce fils et s’était recroquevillée sous le poids des principes qui tuent. Elle se rappelle même l’avoir trouvé laid, trop long, puis trop gras. Et un jour, l’instinct a construit une voie rapide aller simple vers l’amour. Elle a alors tracé et son chemin et sa conduite.

Dès les premiers mois qui ont suivi, elle a quitté le monde et le monde l’a quittée. Noir obscur. Douleurs à haute dose. Elle a enduré puis affectionné sa solitude. Sa fragilité légitime a engendré la perte encore, celle des siens, et elle en a relativisé les blessures offensantes et la privation.

Dix ans à creuser dans le vide, à crever dans le vide. Dix ans de prescriptions du corps et de l’âme qui ne suffisent toujours pas au remplissage. Dix ans déjà que ses interlocuteurs maîtrisés se demandent quand est-ce que quelque chose va arriver, quelque chose de vraiment bien pour qu’elle soit comme avant.

Interrogée, elle connaît le texte par cœur. Il faut oublier, faire le deuil, tourner la page. Elle est là à leur donner les illusions cataloguées «surgelé» sur demande. Une fois seule, elle éprouve plus cruellement encore la culpabilité maternelle et son ambivalence entre le soleil et la nuit perdure.

Françoise a lâché prise. Elle n’a plus qu’une saison, celle qui glace son âme. L’hiver s’est installé de plein fouet.

Françoise a élu domicile côté terrain vague l’an dernier. C’était en janvier. Elle a repris la voie rapide aller simple vers l’amour.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

J'ai particulièrement aimé celle-là. Comment fais-tu pour nous transmettre l'émotion directement comme ça? Je repasserai souvent. Merci. Claude

11:37 a.m.  
Blogger MARGUERITE ROSE said...

Ça vient de mon grand-père sans doute, j'en suis certaine en fait. Il m'a offert des tas d'étoiles magiques comme ça ! Merci d'avoir lu !

11:07 a.m.  

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