lundi 28 février 2005

N'importe quoi

Vous devriez voir mon bureau… enfin, si on peut nommer cet espace de ce nom bien sûr… j’en suis pas très certaine en fait. J’ai un bureau moi ? Ah oui, bon. J’ai un bureau. Si on s’entendait pour espace de travail ? D’accord ?

Alors. Donc. Dans mon espace de travail… ouais, même espace ça ne va pas du tout là. Espace, c’est plus grand que mon bureau habituellement non ? En tout cas, de l’image que je m’en fais, oui… comme la mer, c’est grand la mer, les champs aussi ils sont grands… espace dans un sens lié à l’étendue, entendons-nous bien.

C’est drôle, tiens, je viens de me rendre compte que je donnais nécessairement au mot étendue une qualité d’ampleur. Jamais l’idée d’écrire par exemple «une vaste étendue» n’a effleuré ce qui doit être tâtonné à tatillon pour l’écrire.

Une petite étendue, ça vous irait vous ? Moi pas du tout. Ça doit se passer dans mon imaginaire finalement. C’est pas illimité comme image une étendue ? Il me semble que oui pourtant.

Si je vois un lac, je vais appeler ça un lac, pas une petite étendue. Si je vois l’océan, là je risque d’appeler ça l’étendue, mais pas grande, ni immense, ni vaste, juste étendue tout court. Mais si le lac est très grand, je fais quoi là ? Ben imaginez-vous qu’il restera tout de même un lac. C’est comme ça.

samedi 26 février 2005

Dire...

On tire des mots à bout portant prétextant la conviction de ses sentiments et de ses idées. Le hic, c’est que le langage utilisé ne se convainc pas lui-même, sans âme. On ne mesure plus la portée de ses mots et «seuls les fous ne changent pas d’avis» est voué à une surexploitation existentielle qui revêt des airs de canal météo, au jour le jour et d’heure en heure. Pire encore, on devient journaliste de tribune à la con parce qu’on voit, on devine et on commente. La responsabilisation sans savoir qui on est et sans avoir une ouverture à l’autre n’est qu’une piètre illusion.

Savoir vivre avec ses blessures et ses peurs et les amoindrir au fil des jours n’est pas une histoire sans fin. Mais tout ça n’a pas de durée préétablie. Les blessures surviennent et font mal, puis on a peur. Comme lors de notre première chute à vélo, quand on a été des semaines sans même vouloir (ni pouvoir) le regarder car seulement la vue de cet engin nous faisait mal mais nous faisait affreusement peur aussi. Même le vélo du petit voisin a fait rejaillir dans notre imagination le sang du genou fracassé sur le trottoir quelques jours plus tôt...

Mesurer les mots et les gestes et, surtout, leur impact est une chose que bien peu de gens savent faire. On avoue des sentiments en se disant qu’on peut changer d’avis le jour suivant, on se les désavoue à l’avance, on se déresponsabilise intérieurement, on ne se responsabilise pas envers l’autre.

Si je te dis «Je t’aime», je le redirai encore dans 3, 7 ou 37 ans. Parce que je n’aime pas pour 3, 7 ou 37 jours. Mais je ne te le dirai jamais par convention ou par pur égoïsme. «Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours» de Richard Desjardins me va tout à fait. Je t’aimerai différemment, soit, mais je t’aimerai. Toujours.

Je me tromperai et je ferai des erreurs, c'est certain. Mais je dirai toujours doucement, lentement. Jusqu’à tout te dire. Pour que nos mots s’entendent. Pour que nos gestes se touchent. Je ne devinerai pas non plus. Je ne renierai pas ce que tu vis, je le vivrai avec toi. Je ne t’empoisonnerai pas avec tes peurs, je leur parlerai pour qu’elles aient une folle envie de «last call».

Et lorsque mes yeux connaîtront la lumière bleue du soleil des océans, je te dirai «je t’aime».

vendredi 25 février 2005

Bleu lune de jour

C’est comme ça depuis des lunes entières. Stella ne dort pas.

Le soleil n’illumine pas que la lune complètement; son univers aussi. Une semaine de passage par-delà le cercle polaire l’attend comme un amant fidèle, chaque fois. Une semaine de sens à contresens, de parallèles et de latitude lascive.

L’éternel de ses nuits claires cherche l’amant conquérant pour traverser les limites et y perdre le Nord. Sous la bruine pluvieuse de son corps, naviguer dans ses zones insulaires et prendre rendez-vous avec Neptune. Atteindre les plateaux et fondre ses neiges éternelles en silence, dans l’éclipse qu’elle appelle dorénavant le jour.

Elle n’a ni tribu ni chaman. Trois mois en solitaire qu’elle traverse, bataille dans l’hémisphère de l’excentricité, pour que change son axe de rotation. Ses étendues sauvages songent aux visages d’intrus découverts au crépuscule et disparus sous les glaces noires.

Bulle de bleu lune.

mardi 22 février 2005

«Moi, je continue à aimer les gens qui refusent.» (B.L.)

Chiens de guerre (Bernard Lavilliers)

Très loin, très loin d'ici, il existe une zone
Où on garde en secret l'après midi des faunes
Là où les histoires d'amour toujours inachevées
Et jamais abouties comme sont les conquêtes
Les chevaux ruisselants juste avant la défaite
Quand le seigneur de guerre reconnaissant les siens
Sous les masques de fer, se penche et ne dit rien
Et chaque nuit, les villes brûlent, les villes brûlent

Ma compagne de feu as-tu connu ces hommes ?
Ces hommes du refus, au loin des compromis,
Que l'argent corrompu n'a jamais assagis,
Ceux qui tiennent leur clan en dehors de la norme
Chiens de guerre qui fermez les portes des cellules
Il reste pour les loups ce battement de coeur,
Ce tempo de survie venu des profondeurs,
Cette rage de vivre rivée sous la férule.
Et chaque nuit, les villes brûlent, les villes brûlent

Ne prenez pas les aigles pour de blancs albatros,
Au cas où le destin confierait au hasard
La fin du millénaire et des ordres bâtards,
Chiens de garde, en passant, surveillez bien votre os !

Très loin, très loin d'ici, il existe une zone
Aux frontières du réel, près des grands trous d’ozone,
Là où le ciel est rouge et la nuit infinie,
Il existe une zone, très loin, très loin d'ici.

jeudi 17 février 2005

Rencontre

Étonnant, non ? Elle n’est pas parfaite.

Elle sent ses bras trop longs. Et ses mains veulent s’enrouler contre son gré. Son corps est définitivement trop penché vers la gauche aussi. Vers sa gauche. Elle est assise là, juste à côté, et ne voit que ses lèvres, et n’embrasse que son regard.

Elle ne sait plus ni pourquoi ni comment ils se sont croisés. Par hasard peut-être, par la vie peut-être, un jour de soleil blanc d’automne qui annonce la froideur alors qu’ils n’avaient pas de nom encore. Inconnus.

Mille questions se posent. Mille et une réponse se donnent.

- Où aimerais-tu vivre Stella ?
- Quelque part dans la voie lactée ou dans l’océan, là où il y a l’espace encore vierge, intouchable. Dans un espace régénérateur d’émotions et d’idées c’est certain. Mais en même temps, je vis de cris citadins car c’est le bruit qui m’inspire. Et toi ?

C’est là qu’il l’a appelé «petite sirène» pour la première fois. Elle s’en rappelle.

Il aimerait vivre en Écosse peut-être. Des espaces sur fond vert ondulatoire et des caps couleur barils alcoolisés. C’est vrai que c’est bien l’Écosse. Pour la voile ce serait l’Australie, pour les gens aussi. Il l’a côtoyé un mois quand son bateau s’est éreinté.

- Et si tu décidais d’une nouvelle carrière ?
- Gardienne de phare ! De là je pourrais rêver, voir l’infini, étudier, lire, scruter, peindre. Tout quoi !

C’est la septième question, peut-être la sixième ou la huitième. Elle ne porte pas attention aux numéros. À son sourire seulement, qu’elle voit pour la première fois. Lui aurait choisi l’ébénisterie ou l’horticulture. Avoir su. Il est loin de son cadre de direction des ventes.

Ils parlent de tout.

- Tu as des cicatrices ?
- Quelques-unes qu’on voit, beaucoup qu’on ne voit pas.

Leurs conversations tendent vers plus immense que l’univers s’il se peut. Rien de plus de mots. Rien de plus d’importance.

Elle ne se souvient plus comment c’est arrivé. Ils s’embrassent. Mais c’est là que la fin a écrit son histoire.

- Quelle heure est-il Stella ?
- 22 h 30… on est là depuis 15 h… le temps passe très vite…

À cet instant elle a pensé «Quel cliché of moi !». Il est trop tard, elle l’a dit. Quelle conne ! Elle donne la mille et unième réponse mais lui n’a pas posé la question. Il va interpréter, elle le sait. Il va s’imaginer ce qui n’est pas encore. Il ne parlera pas. Elle non plus. Pourtant elle devrait.

- On va manger ?
- Oui bien sûr… sushi ?
- À cette heure, où ? Ah… peut-être sur St-Denis… Regarde Stella, si on allait au Sushi Shop… on se prend un repas, un saké et on file chez moi ?
- Chez moi Jeff… c’est plus proche…

C’est la première fois qu’elle dit. Il n’est plus un inconnu, un sans nom. Il l’a remarqué. Baiser. Le tabouret est bien plus haut qu’à 15 h. Elle sent ses jambes trop courtes. Ses bras sont enroulés autour de Jeff.

Il neige dehors. La première. Douceur de temps blanc. Marche lente à arrêts fréquents jusqu’au resto, puis jusque chez elle.

Arrivés à bon port, les étreintes n’attendent pas. Leurs mains se parlent et se reparlent, leurs regards se touchent puis se retouchent. Serrements et enlacements de corps et de cœur. Les bras ouverts se referment.

Debout, le corps de Jeff penche vers la droite. Debout, Stella sent le poing d’alcool. Regards. Rires. Manteau sur le dos, sac dans son dos. Enlacés, ils ont perdus bien des notions mais pas encore le Nord.

- C’est calme chez toi. On n’entend pas un son, pas un bruit. On se croirait en campagne.

C’est vrai qu’elle habite une petite rue tranquille. Elle a choisi l’appartement pour le voisinage, le parc tout près et le cerisier devant sa fenêtre. L’été elle ne ferme jamais les rideaux, seuls les oiseaux peuvent la voir. Grand écart entre le boulevard St-Joseph où il habite et où elle connaîtra bien assez tôt les levers de presque fin de nuit.

- Allez, sushi !!!
- Tu permets que je m’occupe du saké ?
- Tu fais comme chez toi ici Jeff !

Quatre heures du matin. Après les mots, les lèvres, les mains, les sushis, les alcools de riz et de raisins, ils décident de s’étendre. Gaffe monumentale considérant l’heure à laquelle ils devaient se lever. Ils n’ont pas dormi et ne se sont pas levés. Non plus. Oh si. Pour une douche commune, une bouteille de vin et un bout de fromage bien sûr. Mais sinon, deux jours plus tard. Elle part chez lui. Avec lui.

Ils sont franchement bien. Pendant une année au moins, un peu plus je crois. Leurs corps sont du même moule. Ils n’ont pas connu ça avant. Il y a des mots, puis moins de mots, puis aucun mot. Ça ne fait rien. Ils sont franchement bien.

Plus tard, bien plus tard, dans le seul obscur de la chambre de Jeff, elle sent ses mains sur son corps. Rien d’autre. Elle ose dire. Il abdique. Les mots éclatent. Ils s’avouent et se désavouent.

Ils se sont retrouvés, quelquefois encore, par la tendresse et le désir, avant de trouver un ailleurs. Ils sont repartis un jour. Seuls. Inconnus.

La fin a terminé sa route. Elle a mis pied à terre.

lundi 14 février 2005

Valentin est un sans erreur sur la mesure

L’erreur absolue et son outrage de promesses entachées
L’erreur relative et sa perversité de mots exacerbés
L’erreur systématique et sa fausseté des vérités absolues
L’erreur aléatoire et sa mort des sentiments dénudés

À la guillotine des faux-semblants, il ne se présente pas. Il préfère errer, là et ici, semant ici et là son amour à tout vent, à toutes les amours du monde. Les vingt-quatre heures n’existent pas, l’éternité est sa quête. Il a l’infini pour aimer, passionnément, tendrement, à chacune des nuits de tous les jours du monde, à chacun des jours de toutes les nuits du monde.

Il ne s’affuble d’aucun nom. Par conviction, il revêt ceux de l’Homme quand ils viennent du cœur et de l’âme. Une seconde nommé séduction, une heure nommé désir, un jour nommé exultation, une vie nommé passion. Lorsque les faux-fuyants se perdent de vue et perdent la vue, à cet instant seulement il permet que l’éternité le baptise amour.

Il ne prie pas Mahavira, Mahomet ou Jésus… Son culte est «ta noutri». Nos âmes qui se rencontrent, nos corps qui se fouettent, nos mots qui se mélangent, nos regards qui se disent. Ta vérité et la mienne quand elles s’offrent l’une à l’autre, mises à nu. La pureté des soleils de lune quand ils naissent de nous. La chaleur du Nil quand il exulte en nous les bras en croix.

Même le diable est ko. Et il dit aussi «je t’aime»...

«ta nouri» : la terre des dieux

mercredi 9 février 2005

Une pause... pour mon moral !

Ça fait trois jours que je me tape des heures supplémentaires et là j’en ai ma claque...!

C’est quoi le principe d’écrire cinquante pages quand on peut dire en dix pages, parce que les quarante autres ne sont que du verbiage pur et simple ? Helloooo !

Je travaille là-dessus depuis trois jours. Disons que trois, c’est beaucoup dire étant donné que je fais ça après le boulot (j’ai autre chose à faire le jour voyez-vous !). En réalité, ça totalisera quelques douze heures aujourd’hui. Et si tout va bien, ce soir il aura environ dix pages ce maudit texte. Et là je me croise les doigts (difficile à faire en écrivant mais enfin, vous comprenez ce que je veux dire !) pour que ce soit mon dernier soir !

Pourquoi beaucoup de gens ont la manie de toujours en mettre trop, toujours trop plein la vue, comme si une simple phrase qui veut dire exactement ce qu’ils pensent n’est jamais assez ? Pourquoi redire vingt fois, de vingt façons différentes, la même chose ?

Si j’écris «Je vous aime», est-ce que vous comprendriez mieux mon sentiment si j’ajoutais «Mon hypothalamus baigne dans la lubérine», «Mon cœur brûle d’amour pour vous», «Je veux vous donner ce que j’ai de meilleur», «Je veux refaire le monde avec vous» ??? Vous trouveriez peut-être tout ça bien joli, mais pour votre compréhension, je ne suis pas certaine que ça ajouterait quoi que ce soit à ma première affirmation !

Il a fallu que je tombe sur ce texte pour que ça me saute aux yeux. Pourquoi aujourd’hui, ça je n’en ai aucune idée... ou presque ! Beaucoup de gens disent et redisent mais n’expliquent pas. Et après on se demande pourquoi on a des problèmes de communication. Avoir des théories c’est bien, pouvoir les expliquer, c’est encore mieux ! Et si on est prêt à entendre l’autre les questionner, alors là, c’est le paradis sur terre !!!!

Et il y a des gens qui ne disent rien, qui ne disent mot. Mais ça, c'est une autre histoire...

vendredi 4 février 2005

Ce froid qui tue

Elle n’a plus d’adresse. Françoise a élu domicile côté terrain vague l’an dernier.

À 39 ans, vivre est un mot inscrit au dictionnaire, sans plus. Survivre, c’est sa réalité. Preuve vivante de l’exclusion, ou quand la déstabilisation génère la déstabilisation, elle ne confronte plus, ni les idées, ni les regards, ni ses idées, ni ses regards.

Sa vie a basculé à la mort de son fils. C’était en 1995. Janvier. Accident de la route aux enfers. La mort qu’elle lui a donnée comme elle dit. C’est ce qu’elle pense, c’est ce qu’elle croit, c’est ce qu’elle vit. Pourtant, douze ans plus tôt, elle ne voulait pas de ce fils et s’était recroquevillée sous le poids des principes qui tuent. Elle se rappelle même l’avoir trouvé laid, trop long, puis trop gras. Et un jour, l’instinct a construit une voie rapide aller simple vers l’amour. Elle a alors tracé et son chemin et sa conduite.

Dès les premiers mois qui ont suivi, elle a quitté le monde et le monde l’a quittée. Noir obscur. Douleurs à haute dose. Elle a enduré puis affectionné sa solitude. Sa fragilité légitime a engendré la perte encore, celle des siens, et elle en a relativisé les blessures offensantes et la privation.

Dix ans à creuser dans le vide, à crever dans le vide. Dix ans de prescriptions du corps et de l’âme qui ne suffisent toujours pas au remplissage. Dix ans déjà que ses interlocuteurs maîtrisés se demandent quand est-ce que quelque chose va arriver, quelque chose de vraiment bien pour qu’elle soit comme avant.

Interrogée, elle connaît le texte par cœur. Il faut oublier, faire le deuil, tourner la page. Elle est là à leur donner les illusions cataloguées «surgelé» sur demande. Une fois seule, elle éprouve plus cruellement encore la culpabilité maternelle et son ambivalence entre le soleil et la nuit perdure.

Françoise a lâché prise. Elle n’a plus qu’une saison, celle qui glace son âme. L’hiver s’est installé de plein fouet.

Françoise a élu domicile côté terrain vague l’an dernier. C’était en janvier. Elle a repris la voie rapide aller simple vers l’amour.